dimanche 31 mai 2009

INTERVIEW JEAN-PAUL JENNEQUIN

- Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?

- Je suis né en 1960 et je suis dans la BD depuis 1963, quand mes parents ont commencé à m'acheter le Journal de Mickey. À partir de six ans, j'ai commencé à découvrir la production franco-belge dans les hebdos comme Pif, Tintin, Pilote, Spirou, et les albums en commençant par Astérix. J'ai découvert les superhéros en 1970 en achetant mon premier Strange (le numéro 5 !) et j'ai tout de suite adoré. Deux ans après, j'ai découvert que la librairie Brentano's importait des comics en v.o. et j'en suis devenu lecteur vorace. Après le bac, je ne pouvais pas imaginer autre chose que faire des études d'anglais avec la vague idée de devenir prof, idée qui n'a pas abouti. En 1983, j'ai été l'un des fondateurs de Scarce où j'ai enfin pu étaler mon intérêt pour la BD américaine. En revenant du service national (en Australie !), j'ai commencé à écrire des articles pour les Cahiers de la BD et Circus. À force de rencontrer plein de gens, un jour, on m'a demandé de donner un coup de main sur une traduction (une monumentale histoire de l'art) et je me suis rendu compte que, finalement, je pouvais aussi traduire. J'ai traduit quelques livres, mais assez vite, j'ai surtout été sollicité pour des BD. Je travaille régulièrement pour Disney depuis le milieu des années 1990, surtout pour Picsou Magazine mais aussi pour le Journal de Mickey, ce qui ne manque pas de piquant, vous l'avouerez. Je passe sur tout ce que j'ai fait depuis, ce serait fastidieux. Disons pour résumer que j'ai des activités de traducteur (pour Disney, Çà et Là, Dynamite…), de critique (dans Neuvième art et Comix Club), de conférencier, de scénariste (la série Donald speaks English dans le Journal de Mickey), d'auteur de BD (eh oui, il dessine aussi - jpjennequin.free.fr), d'animateur d'association (LGBT BD, qui organise débats, expos, et a un site : lgbtbd.free.fr). J'ajoute que je m'intéresse à toutes les bandes dessinées dans tous les domaines, qu'elles soient européennes, américaines, asiatiques ou autres. Et puis, je suis assez bavard, comme vous pouvez le constater.

- Scarce est le premier magazine de référence sur les comic book ! Quelques chroniqueurs de Scarce ont fait leur bonhomme de chemin depuis. Est-il possible d'en citer rapidemment quelques uns (en disant ce qu'ils sont devenus ) ?

- Absolument. En vrac : Jean-Marc Lainé a travaillé chez Semic, s'est occupé des comics chez Bamboo, et écrit des scénarios et des livres sur comment faire de la BD (éditions Eyrolles) ; Thierry Mornet * a aussi travaillé chez Sémic et s'occupe maintenant des comics chez Delcourt ; Olivier Thierry dirige le gratuit BD Zoo ; Patrick Marcel a écrit des livres sur des séries télé et traduit des romans fantastiques…

- Vous avez écrit le remarquable ouvrage : Histoire des comics book - 1. Des origines à 1954 (publié chez Vertige graphic). Planchez-vous toujours sur sa suite consacré à l'âge d'Argent ou ne l'aura-t-on malheureusement pas en raison d'éventuelles mauvaises ventes du premier volume ?

- La suite est commencée depuis des années et je finirai par la terminer un jour, mais j'ai tellement d'activités qu'il y a toujours quelque chose de plus urgent à faire. Les ventes ne sont pas un facteur très important pour moi et je pense que le premier volume s'est plutôt bien vendu. En tout cas, l'éditeur me réclame la suite chaque fois qu'on se voit, donc il n'y a pas de problème de ce côté-là.

- Si ce premier volume s'est bien vendu, on compte sur vous pour le second ! Serge Ewenczyk a dit que vous étiez la personne idéale pour réaliser la traduction de la série des Alec d' Eddie Campbell . Je le pense également. Il y a une forme de continuité dans le fait de travailler sur un livre qui fait, même si ce n'est pas que cela, l'historique des comics books anglais indépendants. Y-a-t-il des bouquins que vous aimeriez voir transposés dans la langue de Molière, des livres injustement ignorés ou méconnus ?

- Ces dernières années, pas mal d'éditeurs se sont mis à publier la production anglophone, qui avait été très négligée dans les années 1990, mais malgré cela, il reste beaucoup d'œuvres intéressantes à traduire. Trop, sans doute, pour en faire une liste. Pensez à tous ces strips américains très peu ou pas du tout traduits en français comme Pogo, Little Orphan Annie, Doonesbury ou Krazy Kat. Mais je ne crois pas qu'il y ait une injustice dans le fait que des œuvres soient inconnues ou ignorées. Il peut y avoir aussi plein de bonnes raisons pour cela. Le travail d'un éditeur, c'est aussi de rendre disponibles des œuvres dont il sait très bien qu'elles ne se vendront jamais.

- Il y a de plus en plus de petits éditeurs et tout le monde ne peut pas se le permettre. Cà et là a publié Pédro et moi, Kyméra a Luther Arkwright, etc... Cela ne cible pas les amateurs de super-héros. Il y a danger à éditer ce genre de titre mais la qualité est là. Quitte à rendre disponible des oeuvres autant minimiser les risques, non ? Zenda a traduit des oeuvres qui font aujourd'hui l'unanimité pourtant l'éditeur a disparu...

- Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ce ne sont quasiment jamais les éditeurs qui en ont les moyens qui prennent des risques. Ce sont surtout les petits comme Kyméra, Ça et Là, etc. D'ailleurs, quand on est un petit éditeur, chaque livre publié est un risque dans le contexte actuel de surproduction où nombres d'ouvrages passent totalement inaperçus. Donc, « minimiser les risques », ça ne veut plus dire grand chose aujourd'hui. Le seul moyen d'éditer ce que j'appelle les œuvres dont on sait qu'elles ne se vendront jamais, c'est d'obtenir des aides financières, en particulier du C.N.L.(1)

- Quel est votre actualité ? Les travaux sur lesquels vous planchez ? Des festivals BD de prévus ?

- Je suis en train de traduire Lloyd Llewellyn, la première série de Daniel Clowes, qui était encore inédite chez nous alors que presque tout ce qu'il a fait est disponible. C'est pour les éditions le 9e Monde, label de la librairie parisienne la Comète de Carthage. Pour les éditions Çà et Là, j'ai traduit Storeyville de Frank Santoro et je vais me mettre à American Splendor de Harvey Pékar (2). Pekar est le grand nom de la BD autobiographique des années 1970-1980, il a servi de modèle ou de référence à tous les Américains et Canadiens qui se sont lancés là-dedans au début des années 1990 et en France, il est pratiquement inconnu. Curieusement, le film que lui a consacré Terry Zwigoff n'avait poussé aucun éditeur francophone à le traduire.

Pour les festivals, le mois de juin 2009 est très rempli : je fais une conférence sur les superhéros à Rennes le 3 juin dans le cadre du festival Périscopages, une expo/débat.dédicace à Toulouse les 12 et 13 juin sur les BD LGBT, encore une conférence sur les superhéros à la médiathèque de Betton (près de Rennes) le 17 juin, et je participe le 27 juin au One Shot Festival de Clichy avec un stand et deux conférences (une sur la BD LGBT, l'autre sur la petite édition). Normalement, j'aurai les nouveaux numéros de Scarce sur le stand. Qu'on se le dise !

* lien vers le blog de Neault
(1) Centre national du livre
(2) Les deux livres publiés par Panini (voir le lien sur Harvey Pékar) reprennent les deux mini-séries parues chez Vertigo, les sorties américaines les plus récentes. Ce que Çà et Là prépare, c'est un choix d'histoires parues dans les années 1970, 1980 et 1990. Il ne s'agit donc pas de rééditer la mini-série American Splendor parue chez Panini mais de traduire pour la première fois en français un large choix de tout ce qui a précédé cette mini-série.

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